Itinéraire d’un étudiant étranger, à l’attention d’un ministre à œillères

Publié le par sansgueant.92100

 

 

Laurent Wauquiez, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, aura mis rien moins que 6 mois à réagir à la première circulaire du Ministère de l’Intérieur sur les étudiants étrangers parue en mai dernier. 6 mois. Et 2 autres mois pour modifier le texte. Et un temps non mesuré pour faire le tour des conséquences de ces initiatives.

À l’attention du Ministre de l’Intérieur, donc, qui prétend se faire élire député de Boulogne Billancourt, quelques éléments sur le parcours d’un étudiant étranger.

 

Premièrement : bien comprendre que faire des études en France, pour un étranger, ne représente en rien un privilège. Aujourd’hui, tout étudiant de haut niveau a le choix, un choix pléthorique régulièrement indexé par le classement de Shanghai et autres systèmes d’évaluation controversés dont il faut pourtant être. Ce n’est pas le bled ou la France, c’est la France ou le Canada, ou la Corée du Sud, ou l’Allemagne, ou Singapour, ou Abu Dhabi ou les États-Unis. Ça fait mal à l’ego national mais c’est ainsi, et la conférence des grandes écoles, tout comme la conférence des présidents d’universités, l’ont bien compris.

Attirer les étudiants étrangers est un enjeu et un objectif, et la compétition internationale est rude. C’est ce que rappelle le dernier rapport de la CGE : la France accueille actuellement 9 % des étudiants étrangers soit 270 000 ; d’ici 2020 l’objectif est de passer à 770 000. Pour ce faire, tout comme pour attirer les meilleurs enseignants du reste, ils ne ménagent pas leurs efforts, leur rapport l’expose en détail. Par philanthropie ? Certainement pas ! Selon un intérêt bien compris des établissements, qui travaillent et se projettent désormais à l’échelle du monde, mais aussi des entreprises et de la France, eh oui ! La formation intellectuelle et scientifique est un facteur d’influence et de développement, comment ne pas comprendre cela ?

Ainsi, lorsqu’un préfet bloque le dossier de l’un des meilleurs étudiants – Indien – de HEC, soutenu pourtant par son école et son employeur pour obtenir le droit de travailler à l’issue de son cursus, le préfet ne sauve pas la France d’un profiteur ingrat envers son propre pays. Non, il fait le bonheur de… la Corée du Sud, qui a octroyé tous les papiers requis à notre étudiant en moins de 15 jours, dont le contrat d’embauche et un billet d’avion.

 

Deuxièmement : faire des études à l’étranger, pourquoi, comment ? Évidemment parce que dans le monde d’aujourd’hui cette expérience est un atout. C’est pourquoi les conventions entre universités du monde entier se multiplient, que l’Europe a promu les programmes Erasmus et Da Vinci, qu’HEC ouvre des antennes aux quatre coins du monde et que Sciences Po multiplie les sites délocalisés et géo-spécialisés. Un étudiant part à l’étranger parce qu’il y est incité rationnellement, parce que les universités mais aussi les fondations et même, en France, les régions, proposent des bourses d’aide à la mobilité. Au titre de la coopération universitaire, le Ministère des Affaires étrangères a même des agents à l’étranger pour faciliter l’envoi en classes préparatoires, généralement scientifiques, de jeunes gens qui ne pourraient devenir ingénieurs chez eux, faute de structures.

Reste à savoir quel cursus on définit : terme court ou moyen ? Certains partent à l’étranger pour 6 mois ou un an et feront valoir leurs ECTS dans leur université d’origine grâce au LMD. D’autres optent pour un temps plus long qui doit couronner leurs études : 2 ans pour un BTS, 2 ans pour un master, 5 ans pour un master et un doctorat, 2 ans pour un MBA. En ce cas, il est évident qu’au-delà du diplôme, l’étudiant recherche une formation complète, qui passe par la case emploi.

Monsieur Guéant a du mal à le comprendre, parce que lui n’a fait que l’ENA. Et de fait, au sortir de l’école, les énarques sont versés dans les corps quelle que soit leur expérience ou inexpérience professionnelle, encore et toujours selon leur rang. Mais dans la vie, un recrutement, et surtout un premier recrutement ! ne s’effectue pas comme ça. Un diplômé sans expérience professionnelle n’a pas une chance face à un concurrent du même âge diplômé ET expérimenté. Dans la logique actuelle, ces six mois d’activité professionnelle que le ministre prétendait supprimer font partie intégrante de la formation d’un étudiant.

 

Troisièmement : l’avenir et la bonne conscience.

Partir à l’étranger est un investissement, pour l’étudiant, pour son pays d’origine et pour son pays d’accueil.

Que va-t-il se passer pour le jeune diplômé après ? peut-être, moyennant beaucoup d’efforts de la part de son employeur tant les directives sont déjà restrictives à l’endroit des extra-Européens, va-t-il se voir proposer un emploi dans la boîte française où il aura travaillé six mois. Parce que son profil n’a pas d’égal avec celui d’un diplômé français et qu’ils ne sont donc pas en concurrence sur le même poste, comme le rappelait un chef d’entreprise en informatique qui peine à recruter, ou parce que la boîte en question a des ambitions de développement avec le pays d’origine et que l’ex-étudiant pourra y contribuer, ou d’ores et déjà des filiales. On peut travailler pour AREVA en Chine, Monsieur le Ministre, aussi surprenant que ça vous paraisse. Peut-être travaillera-t-il en France pour une boîte étrangère, dans la même logique. Peut-être repartira-t-il pour développer totalement autre chose dans son pays d’origine, ou dans un pays tiers. Avec toujours une formation française de référence, qu’il fera valoir d’une manière ou d’une autre, un jour.

En désespoir de cause, Monsieur Guéant, qui se pique d’humanisme, a voulu défendre sa circulaire sur ce plan : employer des étudiants étrangers en France, ce serait encourager un intolérable brain drain, qui prive des pays en développement de leurs forces vives. Bouleversant. Et faux ! Une des caractéristiques de nombre de pays en développement, c’est le sous-équipement universitaire, et un système économique en construction. La révolution du jasmin a pour origine des jeunes diplômés sans emploi en Tunisie, parce que la structure économique du pays n’a pas encore le moyen d’absorber ces jeunes dont la Tunisie a besoin. C’est ça, la réalité et le drame du développement ! Permettre à un jeune diplômé d’acquérir du savoir-faire et de l’expérience en France, c’est lui donner les moyens, à terme, de développer la structure économique de son pays, de ne pas rentrer pour devenir chômeur mais pour créer de la richesse.

 

Alors Monsieur le candidat, que ce monde-là ne vous parle pas, c’est bien possible. Il vous appartient de courir après de vieilles lunes. Mais à Boulogne Billancourt, vous tombez mal : c’est une ville d’entreprises ouvertes sur le monde et de gens entreprenants, où de classes internationales en école bilangue, on prépare les jeunes Boulonnais à devenir… d’excellents étudiants étrangers.

Publié dans Humeur

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