Les deux France

Publié le par sansgueant.92100

Je viens de relire le portrait de Claude Guéant paru dans Le Point.


Où l’on apprend que le ministre de l’Intérieur « n’est pas un monstre » (sic) et qu’il a un cœur. Un cœur malade même, qu’il dépose, comme le reste – réputation, famille, intimité – sur l’autel de cet État dont il est, on ne le répètera jamais assez, un « grand serviteur. »


Nous devions nous attendre à la publication d’une telle page, d’un pathos digne, comme il sied à un homme de cette trempe. Pierre-Christophe Baguet nous l’avait annoncé peu avant, « il doit lisser son image. » Dans Le Point, donc. C’est le moins que cet hebdomadaire pouvait faire, après lui avoir savonné la planche dès le 5 janvier en braquant le projecteur médiatique sur la plus belle opération de Pieds Nickelés de ce début de campagne, la reproduction de la déclaration du Ministre.


Je lis ce portrait, et insensiblement une image vient s’y superposer : le portrait que je lis, c’est celui d’un grognard. Ce soldat à l’indéfectible fidélité à un État confondu dans un homme, et qui s’élança dans le marasme de Waterloo en criant « Vive l’empereur ! » Victor Hugo lui rend le plus bel hommage qui soit, au grognard, qui fut de Friedland et de Rivoli, de la Préfecture des Hauts de Seine et du Secrétariat de l’Elysée. Et soudain l’homme dont je lis le portrait me paraît prodigieusement inactuel. Parce qu’il faut être d’un autre temps pour confondre, aujourd’hui, un État et son chef temporaire, et être d’une autre France.


Voilà ce qui me dérange : le sentiment de ne pas appartenir à la même France. Moi aussi, je suis au service de l’État. Pas encore l’âge d’être grande, mais qui sait ? Mais moi, je suis descendue – ou montée – d’un de ces bateaux que l’actuel ministre de l’Intérieur n’aurait sans doute jamais laissé aborder. D’une famille qui, entre deux guerres, abandonna à la France sa confession, sa langue, et 400 ans d’histoire pour devenir française, et plus rien que française. Si ce fut douloureux, ce fut étouffé. D’un fils d’immigrés qui, comme Charpak, comme tant d’autres, a sauvé cette France en désobéissant à l’État français. En reconnaissance de quoi, son nom est pour longtemps gravé aux Invalides. D’une famille dont l’autre branche, plus anciennement française, a toujours pensé, a toujours prouvé qu’on ne servait jamais si bien son pays qu’en sachant dire non : non en 1870, la Commune ils l’on vécue, et pour certains l’ont payée, non à Charonne, en 1962, ils y étaient aussi, non à la révision de la loi Falloux en 1993, non au discours de Grenoble en 2010. D’une famille qui sait dire oui, aussi, à l’Europe, au Monde, aux cultures, aux échanges, aux autres. Qui sait que l’isolationnisme a fait long feu.


Une famille qui parle des langues étrangères.


Monsieur Guéant parle-t-il une langue étrangère ? j’en doute.


Monsieur Guéant a-t-il jamais pris le premier métro pour aller travailler ? j’en doute. C’est dommage, c’est là qu’on la rencontre, la France qui se lève tôt, qui fait des heures de transport, qui travaille dans l’ombre des bureaux, et qui élève ses enfants en espérant qu’un jour ils seront des grands serviteurs de l’État.


Si nous vivions dans la même France, Monsieur Guéant ne confondrait pas un pouvoir avec l’État, et la politique avec la fonction publique. Il ne tiendrait pas des propos à la généralité blessante, bouleversante, pour tous ces enfants qui se forgent une belle identité française en conjuguant ce qu’ils apprennent à l’école de la République et ce que leurs parents et grands-parents peuvent leur raconter de l’ailleurs.


Les questions dont il s’occupe ne sont-elles pas suffisamment graves et importantes pour se dispenser de cette odieuse caricature ? Ah mais non. Il le dit dans Le Point, « le Ministre de l’Intérieur est chargé d'incarner la répression. » Je ne sais pas dans quelle Constitution c’est écrit.

C’est parce que nous ne vivons pas dans la même France que je ne veux pas que Claude Guéant soit mon député.

Publié dans Humeur

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K
En lisant Les Misérables, j'ai trouvé le passage suivant qui pourrait donner des sujets de réflexion à M. Guéant:<br /> <br /> "Le droit, c'est le juste et le vrai.<br /> Le propre du droit, c'est de rester éternellement beau et pur. Le fait, même le plus nécessaire en apparence, même le mieux accepté des contemporains, s'il n'existe que comme fait et s'il ne<br /> contient que trop peu de droit ou point du tout de droit, est destiné infailliblement à devenir, avec la durée du temps, difforme, immonde, peut-être même monstrueux" (IV, 1, 1)<br /> <br /> Il faudrait aussi que M. Guéant fasse attention pour ne pas finir comme Javert...<br /> <br /> Bonne lecture !
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