De l’usage ambigu de l’ambiguïté des mots

Publié le par sansgueant.92100

Ce matin, comme on s’apprêtait à aller au marché, on a entendu le tollé provoqué par une phrase, prononcée par le ministre de l’Intérieur à l’occasion d’une rencontre avec l’UNI (syndicat étudiant de droite) à l’Assemblée nationale : il y exprimait la nécessité de « protéger notre civilisation », et y affirmait que « toutes les civilisations ne se valent pas. »

Le mot est malheureux, parce que sa définition n’est pas univoque. Bien français, pour sûr, puisqu’il fut employé pour la première fois par Mirabeau, ça fait 200 ans qu’on en propose des acceptions différentes, pour le meilleur et pour le pire. On lui adjoint parfois des termes complémentaires, type « monde », ou « culture » tout aussi vagues en fait.

Passons sur les définitions de circonstance (bienfaits de la civilisation etc.) pour dire, en gros, qu’une civilisation désigne l’ensemble des traits caractéristiques d’une société donnée, de son mode de pensée à sa représentation du monde, de son organisation sociale à son économie au sens large.

Paul Valéry, relativiste de gauche s’il en fut, ajoute que plus une civilisation vieillit, plus elle devient apte à concilier les contradictions et à promouvoir la pluralité de pensée.

Nous n’étions pas à la rencontre avec l’UNI et nous serions tentés de trouver que c’est faire beaucoup de bruit pour pas grand-chose.

Mais tout de même, quand on entend un ministre faire de telles déclarations, on pense :
-          Qu’il n’est pas exactement neutre politiquement d’opposer les civilisations en un choc, voire une guerre (puisqu’il faut protéger la nôtre, c’est qu’elle est menacée !) : cela renvoie aux discours polémiques de Samuel Huntington et Bernard Lewis ;
-          Qu’en opposant les civilisations sur le plan de la valeur, Monsieur Guéant nous démontre qu’il est un parfait représentant de la civilisation occidentale, la seule à revendiquer des valeurs universelles. C’est tout à son honneur, mais un peu de recul ne lui aurait pas nui. C’est en oubliant cela qu’on en vient à parler de « croisade » inopportunément.

L’ambiguïté des mots comme de l’intention planait donc sur ce petit discours tenu devant l’UNI.

Comme nous avons eu la chance de rencontrer le ministre ce matin, et qu’il a bien voulu nous parler malgré la désapprobation de son service d’ordre, nous lui avons posé la question : est-ce bien l’une ou l’autre civilisation qu’il visait dans ses propos ? pas des régimes politiques, ou des dirigeants opportunistes par exemple ?

Réponse du ministre, sans ambiguïté pour le coup : non, il visait bel et bien des « civilisations tyranniques ». Comme si ce leur était consubstantiel.

Nous avons eu une pensée pour ces peuples entiers qui souffrent aujourd’hui, qui meurent aujourd’hui sous le joug de pouvoirs iniques qu’ils ne se sont pas choisis et qui n’ont que peu de chose à voir avec leur civilisation.

Et plus que jamais, nous regrettons les raccourcis, le manque de rigueur sémantique et politique du ministre de l’Intérieur qui, même en petit comité, et surtout à l’Assemblée nationale, reste un personnage de premier plan de l’État.

Publié dans Humeur

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